Les lieux de diffusion s’emparent du livestream Tour d’horizon des initiatives des adhérents du Réseau MAP et perspectives d’évolution
06/05/2021

Les lieux de diffusion s’emparent du livestream

Tour d’horizon des initiatives de nos adhérents et perspectives d’évolution

Depuis le début de la crise sanitaire, de multiples offres gratuites ou payantes de livestream ont émergé sur des plateformes dédiées ou sur les réseaux sociaux. Un nouveau mode de diffusion qui recouvre différentes typologies de contenu : de la chambre d’artistes aux grosses productions de stars internationales telles que Travis Scott ou encore Dua Lipa… qui ont marqué les esprits. 

Si le livestream vit un nouvel essor, à l’aube d’une reprise des concerts, il est intéressant de connaître les différentes modalités économiques, techniques et artistiques auxquelles ont dû faire face les acteurs de la filière des musiques actuelles.

Comment les professionnel·les ont-iels pu s’adapter aussi rapidement à une nouvelle forme de diffusion, de nouvelles compétences et équipements à gérer dans une période où les équipes étaient éclatées et bien souvent en télétravail, du moins en majorité ? Plus encore, loin des grosses productions, comment cela s’est-il mis en place pour les petits lieux de diffusion, les indépendant·es et les artistes émergent·es ? 

Au sein du Réseau des Musiques Actuelles de Paris qui fédère une soixantaine de structures de l’écosystème musical parisien, plusieurs salles de concert sont engagées dans la production et diffusion de contenus en livestream. Certaines d’entre elles l’étaient déjà depuis plusieurs années, d’autres se sont lancées en raison de la crise sanitaire afin de maintenir un lien entre le public et les artistes.

L’occasion pour le Réseau MAP de présenter dans ce dossier les témoignages de 7 structures adhérentes, afin de mettre en lumière leurs initiatives, de comprendre les problématiques auxquelles iels ont dû faire face et de relever les diverses perspectives d’évolution de ce nouveau mode de diffusion.


DES ÉVÉNEMENTS ET DES LOGISTIQUES DIVERSES

Si certaines salles du Réseau ont embrassé la pratique du livestream dès le début de la pandémie, d’autres se sont penchées sur la question plus récemment. 

Une diversité des formats de programmation

Le Glazart a ainsi lancé les Nuits URL, à raison d’une soirée par mois (ce qui représente 8 soirées organisées depuis le début de la crise sanitaire en indépendant et une soirée organisée en partenariat avec Technopol dans le cadre de l’initiative United We Stream). Le line-up de ces soirées varie donc à chaque fois et rassemble aussi bien des artistes connu·es que des collectifs locaux avec lesquels le Glazart travaille à l’année. 

Le Divan du Monde – Cabaret Madame Arthur a quant à lui produit 7 événements du 9 mai au 20 juin, 7 autres événements du 19 novembre au nouvel an, ainsi qu’une série de 12 événements au cours du premier trimestre 2021. La structure propose un spectacle de cabaret d’une heure, un format plus court et intimiste qui se déroule dans un petit salon et qui fait intervenir 3 artistes ainsi qu’un·e invité·e. 

Le 360 Paris Music Factory a également produit un grand nombre d’événements, aux formats divers. Inauguré le 21 janvier, le lieu a vu ses portes fermer le 15 mars. “On a essayé de s’adapter activement à cette situation et d’inventer tout ce qui était possible pour ne pas rompre ce lien entre les artistes et le public” explique Saïd Assadi, fondateur du lieu. Suite au déconfinement, 14 concerts ont pu être organisés en physique, les artistes étant installés dans le restaurant, et le public en grande partie sur la terrasse en extérieur. A partir du 25 septembre, le 360 a pu rouvrir réellement son lieu et programmer des concerts jusqu’au 29 octobre. 

C’est à partir du 30 octobre que le 360 Paris Music Factory reprogramme ses premiers concerts initialement prévus en public en livestream.
Au cours de l’automne, 4 concerts sont captés et diffusés à la fois en live et en différé avec Arte Concert.
En décembre, le 360 célèbre le Yalda – le Noël Persan – avec un concert livestream de Manushan.
Enfin, c’est durant le Festival Au fil des Voix que le livestream s’accélère pour le lieu qui a ainsi organisé des captations sur 8 jours, qui ont été diffusées une semaine plus tard au rythme d’un concert par soir.

D’autres salles ont proposé des programmations plus occasionnelles, comme La Marbrerie, qui a produit un événement en interne, et accueilli un événement organisé par un producteur indépendant.  

La Place, centre culturel hip-hop de la Canopée des Halles, n’a quant à elle produit qu’un seul réel livestream. Julien Cholewa explique ainsi : “Nous avons surtout opté pour des captations ensuite diffusées, pour certains, dans les conditions d’un livestream. C’est beaucoup plus simple à gérer et cela nous permet de gérer la postproduction tranquillement pour un meilleur rendu final. L’unique livetrseam s’est déroulé en septembre 2020 et c’était le concert “Boulangerie Française Livestream – DJ Weedim feat Seth Gueko, Captain Roshi, Josué, Deadi, San Nom…””.

Elle a cependant produits d’autres contenus diffusés en condition de livestream, indique Julien Cholewa, “comme une grande partie de la 1ère édition de notre convention hip-hop professionnelle, “L2P Convention” avec une plus de dix conférences ou masterclass ainsi que deux concerts en condition lvestream avec des artistes et intervenants comme Frenetik, Le Juiice, Yugen Blakrok, Bboy Lilou, Jean Pascal Zadi…
On a également produit le live “Blanka Flares Trio” orchestré par Blanka (La Fine Equipe) qui a l’occasion de la sortie de son album solo s’est entouré des musiciens Corentin Pujol et Da Amozig ainsi que des guests comme Hippocampe Fou, Sara Lugo, Florian Pellissier…

La Place a également créé un format vidéo original “Live Arrangé” dont la première série est en cours.

C’est un concept qui permet l’immersion dans la création des versions acoustiques de deux morceaux choisis par l’artiste rap invité et l’équipe de musiciens et les DA musical, Vicelow et Gwen Ladeux. Ce format d’un peu plus de 10 minutes mélange une partie documentaire et deux morceaux live acoustique. Nous avons déjà mis en ligne les sessions de Lala &ce, Tiitof , Le Juiice, Landy et A2H…

Enfin, La Place a également produit plusieurs mini documentaires, des captations de conférence “Impulsion” avec DJ Pone ou Lous & the Yakuza ainsi que des shows de danse hip-hop avec notamment la compagnie Paradox-Sal.

Quelle est la différence entre le livestream et une captation de concert ? 

Derrière le “Livestream” se cachent souvent des notions pourtant bien différentes pour les équipes techniques qui les mettent en place. 

Le CNM dans sa note introductive définit ainsi le livestream comme un “mode de diffusion sur des canaux numériques d’une captation de spectacle, selon des modalités souvent très différentes, en direct ou en différé, gratuite ou payante, sur des sites Internet dédiés, sur les sites d’institutions ou de médias et sur les réseaux sociaux”

D’autres formats, plus hybrides tels que la L2P Convention relèvent de l’événementialisation de diffusion de contenus pré-produits. Une tendance qui permet comme le souligne Julien Cholewa, de générer de l’engagement tout en s’assurant de la qualité du produit diffusé. 

Des choix d’équipements et des systèmes de diffusion variés

Des plateformes de diffusion diverses

Le Glazart a ainsi d’abord diffusé via Shotgun, avec des premières accessibles uniquement en live sans replay pour les personnes qui avaient payé l’accès, puis a mis à disposition des replays exclusivement accessibles depuis la plateforme Shotgun gratuitement lorsque la  tarification des Nuits URL a évolué. 

L’exclusivité revêtait pour le Glazart une opportunité, dans un contexte où au début de la pandémie, les solutions de livestream apparaissaient plus limitées qu’aujourd’hui. Parmi les partenaires du Glazart, Shotgun semblait la plateforme la plus à même de diffuser, car elle avait déjà des bases de données concernant les publics cibles et était réactive et innovante en ce qui concerne la communication. La plateforme positionnée initialement sur les musiques électroniques au départ diversifie désormais son offre, notamment sur le plan niveau géographique.

“On a voulu faire le pied de nez à l’utilisation du web aujourd’hui”

Jérémy Verrier – Directeur de La Marbrerie

A l’inverse, d’autres salles ont choisi de “faire le pied de nez à l’utilisation du web aujourd’hui”, comme l’explique Jérémy Verrier, Directeur de La Marbrerie. Le lieu de diffusion a fait appel à la 25ème heure pour diffuser le concert de Bachar Mar-Khalifé. La plateforme, spécialisée dans le e-cinéma propose de géolocaliser les connexions de sorte à reproduire la relation entre le public, l’artiste et le lieu de diffusion lors d’un concert traditionnel. 

“Il me paraît important de préserver coûte que coûte le lien entre les artistes d’une part et le tandem salle/public d’autre part. La musique n’existe pas sans ce lien

Bachar Mar-Khalifé, artiste · La Marbrerie

La Marbrerie a ainsi décidé de limiter la diffusion de ce concert à l’Ile-de-France. Les spectateurs ont pu ensuite échanger avec l’artiste via un chat intégré et le concert a été diffusé uniquement en direct (puis inaccessible à l’issue de l’événement). 

L’artiste explique ainsi : “Il me paraît important de préserver coûte que coûte le lien entre les artistes d’une part et le tandem salle/public d’autre part. La musique n’existe pas sans ce lien. Le concert est une excuse pour se réunir, quitter nos corps et se rejoindre dans le territoire magique que crée un concert. Le concert est une messe éphémère et secrète qui se partage avec quelques fidèles dans la salle qui se connaissent peut-être déjà un peu et qui ont tous fait le choix d’être là. Payer sa place est une autre condition, «aller» à un concert est un engagement de tous, des artistes, mais aussi des techniciens, de la salle, et du public. Venir au concert est un engagement et une philosophie (pour ne pas dire religion) de vie qui a ses adeptes et qu’il faut aujourd’hui protéger.
Jérémy Verrier indique que l’objectif de cette démarche était de retrouver une proposition philosophique : “Si on mettait le concert en libre accès, on ne pouvait faire qu’un concert, et ça aurait été déconnecté du lieu, qu’il soit tourné à la Marbrerie, ou à l’Olympia…

Pour le 360 Paris Music Factory, les plateformes de diffusion diffèrent à chaque production. “On a essayé de multiplier les canaux pour garantir le maximum de visibilité” explique Saïd Assadi, fondateur du lieu. “Pour le Festival Au Fil des Voix, nous diffusions sur les deux chaînes Youtube du lieu et du festival et sur les réseaux sociaux de divers médias partenaires qui mettaient en avant certain·es des artistes de la programmation (FIP, RFI, Télérama…). 

La Place, diffuse quant à elle principalement ses contenus sur Youtube, en accès libre, sans partenariat spécifique, bien qu’elle ait lancé il y a peu La Place TV, sa propre plateforme intégrée à son site internet. 
Un outil que le 360 Paris Music Factory aimerait bien développer également à terme.

S’équiper ou faire appel à des prestataires externes ? 

Certains lieux, tels que le Studio de l’Ermitage proposaient déjà bien avant la pandémie des prestations de livestream aux producteurs souhaitant investir les lieux et d’autres ont décidé de s’équiper durant la pandémie afin de proposer de nouveaux contenus digitaux sur le long terme, tels que le Sunset-Sunside qui a dévoilé il y a peu son offre Sunset-Sunside 2.0 et s’est donc équipé en matériel. 

Le Divan du Monde – Cabaret Madame Arthur a également investi dans de l’achat de matériel, mais d’autres structures comme La Marbrerie ou La Place ont loué du matériel et fait appel à des prestataires pour assurer la production du show. Julien Cholewa (La Place) indique ainsi : faire “appel à différents prestataires que nous choisissons selon les concepts, les points forts des uns et des autres et le budget. On a travaillé avec Milkshoot, Milgram Production, Absolt, Murs de Led… Sinon, on travaille également en direct avec des monteurs, cadreurs, vidéastes et réalisateurs de notre réseau.”.

FGO-Barbara travaille également avec des partenaires externes, comme l’expliquait Naima Bourgaut à Thomas Corlin, pour Culture Matin : “Nous maintenons ainsi, en ligne, nos concerts avec Grünt, sans public cette fois-ci, et notre festival Ici Demain. La programmation de cet événement n’aurait pas été cohérente si nous l’avions décalée : il s’agit d’émergence. Nous diffuserons l’événement en partenariat avec le média Sourdoreille.”

Enfin certaines structures, comme le Glazart ou le 360 Paris Music Factory, ont d’abord travaillé avec des prestataires, puis se sont équipées au fur et à mesure des programmations en livestream. Ce dernier n’avait pas les moyens de s’équiper avant le Festival Au Fil des Voix qui s’est déroulé début 2021. La salle a pu le faire à partir de février/mars par le biais d’un prêt bancaire. La question du digital était un des volets prévus dans le concept de création du lieu puisque le 360 a vocation à être un lieu où l’on puisse tout faire, de la production, en passant par la diffusion en live ou en streaming. Mais la pandémie aura accéléré la démarche poussant la structure à demander un prêt pour ce faire. 
Un calcul coût-avantage qui pose la question des dispositifs de soutien économique et financier dont ont pu bénéficier ces structures afin de maintenir leur activité. 


LE MODÈLE ÉCONOMIQUE DU LIVESTREAM

Quels financements obtenus par les lieux pour accompagner cette transition ? 

“On savait qu’on allait perdre de l’argent, mais on s’est dit qu’il fallait remobiliser les membres de l’équipe qui souffrent psychologiquement.” 

Jérémy Verrier – La Marbrerie

L’aide aux salles de spectacles en activité du CNM a été mobilisée par le Sunset Sunside au titre d’un investissement lié à l’image numérique et à la captation, tandis que le Divan du Monde – Cabaret Madame Arthur, tout comme la Marbrerie, a mobilisé le dispositif de diffusion alternative créé par le CNM au cours de l’année 2020 pour répondre à un besoin de continuité de l’offre de spectacle vivant durant la pandémie – une aide spécifique qui vient soutenir des initiatives au coût élevé. 

D’autres dispositifs tels que le soutien à l’équipement de la Région Ile-de-France ont également été mobilisés. 

“Ce n’est pas 2 ou 1 projets, mais 40 que nous avons produit. Nous avons fait une demande à hauteur de 50% des coûts de chaque date, ce qui représente 150 000€ !” 

Sébastien Larere – Le Divan du Monde – Cabaret Madame Arthur

Jérémy Verrier, directeur de la Marbrerie, explique : “On savait qu’on allait perdre de l’argent, mais on s’est dit qu’il fallait remobiliser les membres de l’équipe qui souffrent psychologiquement, on a existé sur un temps en termes de communication.” 

Sébastien Larere, administrateur du Divan du Monde – Cabaret Madame Arthur, précise quant à lui : “Ce n’est pas 2 ou 1 projets, mais 40 que nous avons produit. Nous avons fait une demande à hauteur de 50% des coûts de chaque date, ce qui représente 150 000€ !

La Place quant à elle n’a pas obtenu de financements spécifiques, du fait de son statut d’établissement culturel de la Ville de Paris. En tant qu’équipement de la ville, cela fait partie de la mission du lieu de continuer à soutenir les artistes et intermittent·es. “Même si nous sommes obligé·es d’axer l’essentiel de notre programmation sur le digital, nous avons le souci de proposer des contenus qui ont du sens et qui soutiennent la nouvelle scène. Nous ne pouvons pas non plus assumer ces productions sur la longueur, c’est pourquoi nous visons désormais les financements logiques du CNM, CNC et du conseil régional.” explique Julien Cholewa. 

Pour le 360 Paris Music Factory, la situation est encore plus complexe : la structure n’était pas éligible au PGE en raison de sa date de création qui ne lui permettait pas de produire des bilans N-1 et a donc fait appel à un prêt bancaire classique.
Le programme de diffusion alternative a, comme pour le Divan du Monde été obtenu, pour quelques concerts de l’année 2020 et la structure est aujourd’hui en attente de réponse pour le Festival au Fil des Voix qui s’est déroulé en début d’année. Sa demande d’aide à l’équipement audiovisuel de la Région Ile-de-France est toujours en attente également.
La structure rappelle malgré tout qu’elle a bénéficié d’aides attribuées en fin d’année 2020 pour faire face à la fermeture en physique, ainsi que de l’aide du CNM à l’équipement de la salle au cours de l’année passée, bien qu’aucune de ces aides n’ait été fléchée sur le livestream. 

Un modèle économique rentable ou un biais de maintien de l’activité ?

Jérémy Verrier expliquait que l’objectif premier des événements organisés en livestream à La Marbrerie était un objectif humain, visant à “soutenir le moral des troupes” et à maintenir une communication quant à l’activité de la salle

C’est également comme un investissement en communication que le Glazart a pensé son initiative. D’abord payant (à hauteur de 2€ – un montant unitaire qui ne permet pas de générer des recettes suffisantes pour développer un modèle économique rentable), la structure a fait le choix du gratuit. D’autant que l’initiative ayant débuté au début de la crise sanitaire, il n’y avait aucun comparatif dont la structure pouvait se prévaloir pour s’assurer que son public allait suivre ce nouveau format digital. 

Dans la même logique, le 360 Paris Music Factory a fait le pari du tout gratuit. La structure a reçu des propositions de la part de plateformes payantes mais ce type de diffusion risquait de réduire le nombre de spectateurs·trices, quand le premier objectif du lieu était d’assurer une visibilité de la proposition artistique la plus large possible – d’autant plus face à l’inconnu de la situation. Le 360, qui est un acteur privé de l’ESS mais qui a mis l’accent sur l’accès gratuit à la programmation culturelle, a néanmoins un objectif de monétisation du livestream à long terme et envisage de créer une application permettant d’accéder à des contenus gratuits et payants sur la plateforme. 

Le Divan du Monde – Cabaret Madame Arthur a quant à lui fait immédiatement le pari du payant, à hauteur de 5€ par billet. Pour autant, sur le livestream, la TVA s’appliquant à 20% et non à 5,5% voire à 2,1% pour les lieux de diffusion de spectacle vivant, la recette générée n’a pas permis de développer un modèle économique rentable. De plus, les coûts de pré-production s’ajoutant aux montants des cachets des artistes, technicien·nes, cameramen·women et du catering, les charges s’accumulent pour les lieux de diffusion qui se lancent dans l’aventure. 

Pour La Place, le livestream peut être rentable s’il est couplé à des aides de type CNC ou CNM. Mais Julien Cholewa rappelle que la diffusion numérique de spectacle vivant est un métier à part entière, qui se rapproche du fonctionnement d’une production audiovisuelle. “Pour le moment, nous restons des salles de concert destinées à accueillir du public, vendre des billets, faire tourner un bar… En parallèle, il y a la question du livestream payant dont on discute avec différents prestataires de billetterie depuis le début de la crise. Il y a quelques exemples surtout à l’étranger et dans les pays anglo-saxons. En France, c’est resté assez marginal et beaucoup sont ceux qui restent perplexes et ne croient pas vraiment que le public français soit prêt à payer pour voir du livestream. Mais, c’est une piste qui reste à l’étude.” Selon lui, “Les artistes et les tourneurs·ses ne se sont vraiment pas lancé·es significativement sur cette piste.”

Le Sunset-Sunside qui déploie à l’inverse son projet de diffusion alternative selon trois axes ⏤ la diffusion en physique à l’intérieur de la salle, des options de captation aux producteurs et le livestream ⏤ ambitionne de monétiser le livestream, “pour ne pas tomber dans les mêmes écueils qu’avec le streaming qui crée beaucoup de distorsion par rapport au modèle économique des labels et artistes” explique Stéphane Portet, Directeur de la structure. “La technologie et l’expertise ont un coût”, rappelle-t-il, ce qui questionne quant à la méthode pour “arriver à monétiser cela pour que ce soit accessible pour le public et que ça rentre dans les coûts de production”. 

Une évolution qui va dans le sens de l’analyse fournie par le CNM

Dans sa note introductive, le CNM indique “Au printemps 2020, ces nouveaux modes de communication ont, pour l’essentiel, reposé sur la gratuité et, donc, sur l’absence de toute rémunération des différents acteurs de cette « chaîne » productive. Ensuite, de nouvelles opportunités de rémunération ont progressivement émergé, en particulier après l’été, et des concerts produits avec des moyens plus importants se sont développés. Ce qui était perçu comme une alternative temporaire au spectacle vivant – parfois peu qualitative – est devenu en moins d’un an un nouveau format audiovisuel et numérique. À la recherche de modèles économiques pérennes, de nouveaux acteurs sont apparus et se professionnalisent, de nouvelles initiatives prennent de l’ampleur et se structurent ; les lieux de diffusion ouvrent leurs portes aux captations, et l’on observe le glissement d’une offre gratuite vers une offre payante, que le public semble accepter de plus en plus souvent. De fait, c’est une nouvelle chaîne de valeur qui se dessine. Elle est encore fragile car les modèles économiques restent à trouver et de nombreuses questions apparaissent, tant en termes de création de valeur que de répartition de revenus.”


LE LIVESTREAM : UN VECTEUR DE SOLIDARITÉ AVEC LES ARTISTES ?

Le Réseau des Musiques Actuelles de Paris représente une soixantaine d’acteurs·trices qui accompagnent ou programment  des artistes indépendant·es ou émergent·es.

Si l’on a vu fleurir de grandes initiatives solidaires par le biais du livestream à l’international telles que le “One World: Together at Home” porté par Lady Gaga, certaines programmations indépendantes ont marqué le début de la pandémie. On pense notamment au Festival Je Reste à La Maison, lauréat des Social Music Awards dans la catégorie “Opération solidaire de l’année”. 

Chez nos adhérent·es, cela s’est traduit par des initiatives comme celle à laquelle le Glazart a participé, dans le cadre de la programmation United We Stream.

Mais le livestream a également permis de soutenir les artistes eux-mêmes, très fragilisé·es par la crise sanitaire, de maintenir un lien avec leur public et de leur permettre de continuer d’exercer leur profession. Une question se pose alors : Le livestream peut-il être un outil d’accompagnement d’artistes émergent·es ? 

Le Sunset a par exemple une programmation représentant plus de 60% d’artistes émergent·es pour qui il est très important de communiquer, de se créer un public, et “aujourd’hui cela passe par les formats digitaux” selon Stéphane Portet, directeur du lieu. 

Pour autant, la multiciplicité de l’offre de livestream peut également être un frein pour l’artiste émergent·e qui pourra avoir du mal à assurer sa visibilité sans tête d’affiche associée – une problématique finalement similaire aux difficultés d’accès aux programmations traditionnelles des lieux de diffusion. 
Julien Cholewa (La Place) ajoute : “On pourrait avoir tendance à penser scène émergente et livestream mais, selon moi, ça reste compliqué. Pour faire un bon livestream et donc un beau contenu vidéo, il faut un artiste déjà rompu à la scène ou au tournage de clip vidéo et qui pourra donner une vraie prestation adaptée au format. Le défi pour l’artiste et le réalisateur est de faire passer sa musique, sa présence et des émotions pour la caméra et un public derrière un écran. C’est quand même très différent d’un vrai concert, qui n’est pas simple non plus d’ailleurs.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que pour vraiment réussir un livestream, ça demande de la scénographie, un réalisateur, un cadrage précis et un artiste qui “perce” l’écran..
C’est donc risqué, pour moi, de lancer un jeune artiste émergent sur un livestream. Il est encore au début de son apprentissage scénique et risque un gros coup sur son image. Ou sinon, il faut le penser comme un véritable clip capté en amont, monté puis diffusé en conditions livestream. C’est d’ailleurs ce qu’on a fait la plupart du temps.
La Place a produit des concerts type livestream avec des artistes émergent·es et elle le fera encore. Mais ça doit être vraiment préparé et pensé précisément en amont.
Sinon, oui, un concert capté en vidéo, en livestream ou pas, reste un bon outil d’accompagnement pour revenir sur la prestation de l’artiste et analyser le show avec un coach. Mais, nous parlons ici d’une vidéo à usage interne entre l’artiste, ses équipes et celles d’accompagnement.


À LA CONQUÊTE DE NOUVEAUX PUBLICS

Si les artistes (rompu·es à l’exercice) peuvent conquérir de nouveaux publics par le livestream, nous nous sommes posé la question pour les salles de concert : la diffusion des événements en livestream a-t-elle touché un public plus large que leur jauge ne leur aurait permis en physique ? 

Assurément pour le Glazart qui a compté environ 2400 connexions lors de la dernière Nuit URL. Si la structure ne sait pas combien de temps les spectateurs·trices sont resté·es en ligne, il est certain qu’elle a touché plus de gens qu’en présentiel, d’autant que sur Shotgun, on ne peut pas tomber sur un live par hasard comme ça peut être le cas sur Facebook – témoignant ainsi d’une réelle démarche de participation à l’événement en ligne. 

Le constat est le même pour le 360 Paris Music Factory qui comptabilise plus de 400 000 vues pour la vidéo d’un des artistes programmé au Festival Au Fil des Voix, juste à la fin du festival. La vidéo, mise en ligne pour 6 mois, a cependant été visionnée 20mn en moyenne par les utilisateurs·trices, pour un live de 50mn. 

Il est donc possible de toucher davantage de personnes en livestream, mais s’agit-il pour autant d’une conquête de nouveaux publics ? Nous avons ainsi demandé à nos lieux adhérents s’ils avaient conquis une nouvelle frange de publics et s’ils pensaient pouvoir la convertir une fois les salles ré-ouvertes. 

Le Sunset-Sunside qui n’a pas encore produit d’événement en livestream ambitionne de toucher de nouvelles zones géographiques et de nouvelles tranches d’âge en fonction des réseaux sociaux mobilisés. Il n’y a pas de volonté de segmentation des publics de la part du lieu, mais Stéphane Portet explique ainsi qu’il serait “intéressant de pousser la population qui ne peut pas venir sur Paris”, d’autant que le Sunset a beaucoup d’artistes internationaux. Le Sunset s’adressant néanmoins à un public de niche, il lui faudra adapter ses coûts de production. 

Le Glazart indique également avoir touché de nouveaux publics en termes géographiques.
Le 360 Paris Music Factory fait aussi ce constat, notamment dû au fait que la programmation du Festival Au Fil des Voix a mobilisé les communautés internationales des artistes programmé·es. La structure a également touché des publics plus jeunes que lors de ses concerts dans les murs. Selon Saïd Assaid, l’objectif est bien évidemment de les convertir en public régulier lors des concerts physiques, mais il faut également commencer à percevoir le livestream comme un outil complémentaire du live, de la même façon que le streaming s’est imposé comme un outil complémentaire de la distribution physique de la musique enregistrée. 
Quant à La Place, Julien Cholewa affirme : “Oui, il est certain que la notoriété et le nombre de personnes qui suivent La Place a bondi. Tous les chiffres des réseaux sociaux augmentent. Le nombre d’abonnés à la chaîne Youtube de La Place a été multiplié par cinq depuis notre prise de fonction, en mars 2020. Grâce à notre nouveau site internet  et notre stratégie de digital marketing pour les réseaux sociaux mais aussi via notre site, nous sommes aussi en train de capter un nouveau public. Il est certain que lorsqu’on va rouvrir, nous allons nous servir de tout cela pour drainer tout ce nouveau public qui a découvert La Place ces derniers mois et qui vient s’ajouter à la communauté qui déjà captive. C’était notre stratégie !


DES LIEUX QUI SE RÉINVENTENT PLATEFORMES DE DIFFUSION

Quel impact sur la nature du travail fourni et l’organisation des équipes ?

Ceux qui ont fait appel, comme la Marbrerie, à des prestataires externes n’ont pas vu leur organisation du travail impactée par la gestion du livestream, mais pour des structures comme le Glazart, la polyvalence se développe au sein des équipes qui accumulent plusieurs casquettes et acquièrent de nouvelles compétences – dans la mesure où c’est le programmateur, Sylvain Lemerle, qui s’occupe de la réalisation, en tandem avec l’ingénieur du son du lieu. 

Pour le Sunset-Sunside qui n’a pas encore de modèle économique identifié, il est difficile de se projeter. Le lieu envisage ainsi de former ses ingénieurs du son à ces problématiques de vidéo ou de recruter des professionnel·les spécialistes de ces thématiques – deux hypothèses encore en cours d’arbitrage. 

Au Divan du Monde – Cabaret Madame Arthur également, l’organisation des équipes a été chamboulée, et la formation, de mise. 

“Avec le temps, les pratiques se sont affinées, on a eu besoin de conseil et d’expertise de la part d’avocats pour les contrats de cession de droits etc. Nous avons fait appel à du personnel technique externe à notre structure, mais il a fallu faire des  formations en interne pour se former aux nouveaux enjeux juridiques” 

Sébastien Larere – Le Divan du Monde – Cabaret Madame Arthur

De même, le 360 Paris Music Factory a créé un poste audiovisuel au sein de son organigramme et a embauché un réalisateur monteur qui peut aussi suivre l’ensemble du volet technique comme salarié en CDI. La régie et l’équipe technique du lieu a suivi des formations afin de développer les compétences qu’iels avaient en son et lumière pour la captation. Les opérateurs·trices techniques étaient quant à eux des intermittent·es. Pour les équipes de communication également on observe une montée en compétences puisqu’il a fallu apprendre à gérer la diffusion multi-canal en direct. 

Le CNM précise les enjeux juridiques du livestream dans sa note introductive

Dans un contexte où ni le Code de la propriété intellectuelle, ni la jurisprudence n’ont tranché la plupart des questions qui se posent aux acteurs du monde de la musique, des problématiques nouvelles apparaissent et risquent de se renouveler sans cesse. Se pose d’abord la question de la diversité des modèles économiques, à mi-chemin entre les logiques de la production audiovisuelle (cession de droits de diffusion), du spectacle vivant (ventes de billets ou de spectacles) et de la production phonographique (monétisation du streaming).

Source

Accéder au mini-site du CNM dédié au livestream et à sa fiche informative quant au régime juridique de la captation de spectacle vivant

Julien Cholewa (La Place) acquiesce : “C’est certain qu’il a fallu être très attentif à l’équipe durant cette période. Nous passions, en partie, sur d’autres métiers. Il y a une partie enrichissante pour tous d’apprendre de nouvelles choses.”

“Mais, en même temps, il faut garder en tête que nous ne sommes pas une production audiovisuelle. Il faut s’entourer des bons prestataires et prendre le temps. Mais, on a la chance de porter en nous cette part de “débrouillardise” assez caractéristique du hip-hop.” 

Julien Cholewa – La Place

Naima Bourgaut et Marie Le Cam de Madline, structure gérant les deux équipements publics de musiques actuelles FGO-Barbara et Les Trois Baudets (Paris 18e), ont partagé leur stratégie pour faire face au reconfinement à Culture Matin. A propos du livestream, elles expliquaient également à Thomas Corlin que “Côté diffusion, nous sommes partis de l’idée qu’il fallait défendre la musique malgré tout, en livestream s’il le faut. Évidemment, c’est un support qui ne nous convient pas, nous sommes des diffuseurs, nous n’avions pas prévu de travailler avec des écrans, mais il explose actuellement et s’impose à nous. Nous l’utiliserons dans ce contexte”.

Julien Cholewa conclut ainsi : “Donc, tous ces projets ont plutôt été très bien reçus par les équipes qui étaient plutôt heureuses qu’il se passe des choses, qu’une dynamique se mette en place autour de projets qualitatifs et sympas. Si nous n’avions pas initié ce mouvement et cette adaptation au contexte, je pense que cela aurait été plus dur pour toute l’équipe avec le danger d’une stagnation…”

Vers une pérennisation du livestream ? Quelles perspectives pour l’évolution des métiers du spectacle vivant à l’ère du digital ? 

Le Sunset-Sunside imagine surtout des prestations de captation, mais n’exclut pas le livestream de façon exceptionnelle, notamment pour des concerts déjà complets

Le Glazart étudie la possibilité de maintenir des programmations hybrides notamment en début de soirée pour teaser quant à l’ambiance du lieu, etc, car la situation a poussé à penser à plus de contenu vidéo au sens large, que ce soit en direct ou non. Mais le lieu affirme sa volonté de remettre l’accent sur le live avant tout lorsque la situation le permettra.

La Marbrerie, comme le Sunset-Sunside considère le livestream comme une idée intéressante, notamment pour les premiers concerts post-réouverture à jauge réduite, mais Jérémy Verrier rappelle qu’il faut un·e réalisateur·trice, des cadreurs·ses ou une installation semi-permanente. Il va dans le sens du Glazart et ajoute : “Aujourd’hui, on est sous l’eau. Le premier objectif c’est de remettre le bateau à flot, de retrouver un réel rapport avec les gens, la dynamique d’un vrai bar, car même si on réussit à faire participer 100 personnes en plus avec un modèle hybride, ce ne sera pas ça qui va changer la donne ».

« La vraie plus value se trouve dans le lien social.« 

Jérémy Verrier – La Marbrerie

Julien Cholewa souligne également l’importance du live en physique : “Nous allons bien sûr rééquilibrer l’offre pour nous recentrer sur l’accueil du public dans notre lieu. C’est notre métier premier et ce qui nous motive vraiment.

« Rien ne remplacera la rencontre d’un·e artiste et de son public en réel. »

Julien Cholewa – La Place

Il ajoute cependant : “Il est certain qu’on va garder l’aspect vidéo. C’était déjà un axe du projet qu’on a présenté à La Ville de Paris et au CA de La Place pour notre candidature. Nous voulions développer l’image et la vidéo pour nourrir les réseaux sociaux et créer une proximité entre le public et tout ce qui se passe à La Place. C’est pour cela qu’on a créé “La Place TV”. C’est juste qu’avec la crise sanitaire, nous avons dû accélérer et accentuer cet aspect.


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